BIPOLARITÉ CULTURELLE OU ÉTAT BORDERLINE CULTUREL ?

BIPOLARITÉ CULTURELLE OU ÉTAT BORDERLINE CULTUREL ?

Je réalise qu’en écrivant cet essaicette tentative d’écriture, je m’expose à être taxée de passéiste, d’anti-féministe, (qualificatif absurde puisqu'une femme ne peut être qu'ultra-femme pour exister), d’idéaliste, de ne pas être politiquement correcte. J’ai alors recours à la prolepse pour anticiper et éviter une autre perte d’énergie supplémentaire : c’est faux et c’est précisément l’inverse.

J’ai besoin d’unir ces différends, de tricoter un tissu commun, une étoffe enchevêtrant la fibre américaine, française et italienne. J’ai besoin de lisser les aspérités et de raboter les angles pour que s’emboîtent mes mondes, comme j’ai brodé mon texte de jolies citations de ces écrivains. J’ai ainsi l’immense satisfaction d’avoir mis de l’ordre dans mon chaos interne. Le texte est maintenant multicolore solidement intissé.

Peut-être ma jeune sœur n’a t-elle pas eu le temps d'organiser ses mondes, n’ayant jamais trouvé l’île dont elle rêvait entre la France et l’Amérique. Je me devais de le faire pour elle et moi. Elle qui, pendant sa longue maladie, m’avait confié pouvoir vivre partout et n’importe où en France, était en paix avec cela. Finalement, c’est vers la fin de sa vie qu’elle s’est retrouvée entière. Ses cellules se sont désorganisées et affolées dans une division infinie, comme une gigantesque rébellion. Elles sont devenues immortelles pendant que ma sœur devenait mortelle. Peut-être est-ce trop douloureux de vouloir unir ces mondes et peut-être, pour certains plus vulnérables, la fêlure est-t-elle bien là, irréconciliable menant à une schize, un clivage pour la vie ? Une bipolarité culturelle ? Pouvant aller au sens psychiatrique du terme, à un état borderline permanent ? Mélancolie & culture


RÉCONCILIATION

Je suis pro-américaine dans ce que la culture américaine a d’extraordinairement dynamisant, c’est une boisson énergétique pleine de vitamines qui vous revitalise et dont j’ai besoin. J’ai besoin d’aller en Californie. Je l’aime pour sa force, mais je la refuse pour sa violence, son disconnect  du réel, son manque de réalisme malgré son pragmatisme, ses carences d’intuition, de bon sens, son matérialisme insatiable, son absence de profondeur, de culture, l'omniprésence du  process, et son manque d’être au monde parce que trop impliquée dans l'avoir et le faire.

Je suis également pro-française pour notre génie, la beauté de notre langue, de notre pays et de ses incroyables richesses culturelles et naturelles : j’ai besoin de contempler nos œuvres d’art et de lire nos Classiques. C’est une autre forme de cocktail vitaminé plus sédatif et restorative, complémentaire de celui enrichi de vitamine C de la Californie. Il faudrait, dans une journée idéale, se lever en Californie, se survitaminer, passer à l’action et se coucher en France en s’infusant de bonnes lectures pour laisser pénétrer en nous la vulnérabilité, le sens du Doute.

Je suis pro-diversité et pro-globalisation, sachant qu’en contrepartie, elles renforcent et fortifient l’identité de celui qui se trouve « isolé », la globalisation favorisant davantage le morcellement culturel et identitaire de communautés qui se revendiquent différentes de la culture mainstream. L’ayant constaté en Amérique, où plus les communautés sont nombreuses et diverses, plus la création de nouvelles    communautés s’avère nécessaire, et moins l’homogénéité d’une culture est possible. Il en va alors d’une fragmentation culturelle sans fin, d'où la nécessité d'un gouvernement fort et puissant et d'une Loi pour tous et applicable à tous.

Je récuse en France : le gâchis, le manque de courage, le manque d’engouement, la mentalité du à quoi bonle nihilisme, l’absence d’encouragement pour la bonne énergie (bridée ?), le manque de reconnaissance, la dictature de la pensée unique par les institutions et les Corps de l’État, le clanisme, le népotisme, la procrastination, le sens du ridicule, mais également la pénurie de volonté et de persévérance, la faiblesse, le manque de possibilité d’émergence de talents parce que c’est tellement difficile en France. Je regrette la difficulté de s’épanouir au travail, le qu’en-dira-t-on, la médisance, le mauvais esprit, la croyance de rareté, la critique systématique, le sabotage de nos potentiels, le manque de gentillesse par peur de s'exposer, le mépris, le manque de clarté, et je déplore les rivalités contreproductives entre les femmes, ainsi que la collusion. Comme si nous pouvions avoir le luxe de perdre ces énergies vitales.

Je suis pro-jeunes et je suis pro-vieux, le « jeunisme » en soi, est ridicule. Je suis pro-diversité quand elle est clairement organisée, que les règles du jeu sont explicites et que les nouveaux arrivants sont partants pour jouer le jeu local comme c’est le cas aux États-Unis.

Je suis pro-femme et je suis pro-homme en ce qu’ils doivent contribuer et pleinement assumer leurs rôles complexes et différents dans leur totalité et leur complémentarité, ce fut le cas dans la Rome antique. Je suis pro-présent parce que c’est la seule chose que nous pouvons contrôler, et pro-passé parce qu’il nous nourrit pour aller de l’avant et nous offre des prospectives pour le futur.

J’ajoute une touche d’italianité  pour l’esthétique, le sens du dérisoire et leur sens que tout est toujours possible même quand tout est désastreux. J'aime me dire que l'on peut réactualiser ce terme de la Renaissance, ce néologisme italien si difficilement traduisible dans une autre langue :  la sprezzatura.  Désignant en même temps, tout à la fois : une attitude morale, un quant-à-soiune apparente facilité dans le savoir, comme si cela allait de soi, ce rythme, cette  grinta, ce « presque-dédain » sans l'arrogance contenue dans le terme sprezzo, et que le terme moderne a revêtu depuis. Je retiens ce souci constant de l'harmonie, cette aisance, cette grâce selon Castiglione, cette civilité, cette nonchalance tellement travaillée, ce port altier tout en ayant l'air de rien, cette grande élégance dans l'être, tellement Rinascimentale. J'ai rencontré une Florentine, guide de métier, sbrigativa, impatiente, dotée de cette fameuse sprezzatura energica presque au sens pirandellien du terme, hautaine à juste titre, parce que Florentine, et proche du dédain. Je l'ai comprise dans sa  sprezzatura, dans sa Toscanità. Elle sentit que je reconnus cette force morale en elle, son appartenance, elle en fut touchée. Accord tatice. Prise d'altitude. Reconnaissance. Elle savait que je savais... révérence. Silenzio. Intraduisible en anglais.

Je pense qu’en combinant le meilleur de l’énergie de l’Amérique en moi, en le saupoudrant d’un soupçon de réserve, de recul, de retenue et de doute français, le tout agrémenté de cette sprezzatura italienne, j’ai trouvé en fin de compte, une recette, un équilibre qui marche un peu partout dans la durée. Introduire de la dilatation et de l'élévation dans le temps américain serait tellement bien...

Il faudrait nous réconcilier avec tout  « cela  ».  Même si le prix à payer n'est pas anodin.