PERSONA

Masques vénitiens, Bauta

EXTRANÉITÉ - POURQUOI LA LETTRE "G" SERT-ELLE À DE PREMIÈRE LETTRE POUR NOMMER L'ÉTRANGER DANS DE NOMBREUSES LANGUES ?

Ayant étudié l'anglais et l'italien, et ayant longuement vécu en Italie et aux Etats-Unis, j’ai un intérêt majeur pour tous ces thèmes qui touchent à l'étranger et à l'étrangetéL’étranger, ou l'étrangère au clan, le maverick comme on le croise ou la croise dans le film de Clint Eastwood, Bridges of Madison County (1995), explicité sous la plume de Michael Henry Wilson dans le prologue de son livre : Clint Eastwood :  « Le point de vue qu’il privilégie (Clint Eastwood) est celui de l’étranger de passage, du vagabond qui n’aspire qu’à reprendre ses errances [...] comme le sait bien la Francesca de Madison, on peut étouffer dans les grands espaces. Il fait rarement bon vivre en cette Amérique profonde. [...] L’étranger cher à Eastwood ne fait que la traverser. Le temps de prêter corps aux fantasmes des autres. D’exprimer les pulsions inavouables de son environnement. Nomade par définition, il ne lui est pas donné de s’enraciner... »

J’ai toujours aimé le statut de l’étrangère en observation. Outsiderness. C’est l’extranéité qui rend intéressante l’expérience. De tous temps, les êtres humains ont constitué des clans, et inventé des termes pour nommer celui qui n’en fait pas partie, qui est « extérieur », étranger. Du terme barbare chez les Grecs, qui signifie celui qui ne parle pas grec, à gringo, qui, selon les époques et les pays, veut dire celui qui ne parle pas castillan, par extension un résident nord-américain, au Mexique celui qui a un teint clair, ou gringo, dérivé de l'espagnol griego signifiant grec et donc parlant une langue incompréhensible ? En passant par gaijin qui en japonais qui signifie en dehors, ou personne d'un pays extérieur, ou bien encore étranger au Japon, avec parfois selon les époques, désignant les peuples barbares méridionaux. Gaikokujin demeure le terme officiel pour les non-Japonais vivant au Japon. Le terme goy, désignant un groupe non-Juif, parfois aussi appelé gentil. Le terme yankee, qui revêt des sens différents selon que l’on se trouve en dehors des États-Unis d’Amérique, ou bien au sein du pays pour différencier entre Nordistes et Sudistes, mais encore plus précisément pour nuancer en Nouvelle-Angleterre même, des subtilités propres au Nord-Est américain. Et puis il y a le mot emprunté au romani et qui désigne le non-gitan, celui qui n'appartient pas à une communauté rom : le gadjo. En Chine, transcrit en lettres occidentales, le terme de gwai lou désigne péjorativement l'homme blanc comme gawri, transcrit de l'arabe tunisien, etc...

Je me suis alors sentie successivement barbare, goy, gentille, gringa, gai-jin, yankee, gadjée, horsaine   selon le pays où je me situais, et le milieu que je fréquentais. En Sicile, le concept de straniamento, largement utilisé dans la littérature insulaire de Giovanni Verga, et de Pirandello (L'Esclusa), met en évidence le lien entre étranger et étrangeté. Ce privilège d'être étrangère me permit d'être une des rares femmes non chaperonnée en 1982 admise à fréquenter l'université. Toute jeune femme était, selon l'usage, accompagnée de sa duègne, souvent una zia, une tante forcément endeuillée. Ce statut me rendait « intouchable ».   3

Certains de ces termes désignant "celui qui n'est pas de chez nous", ont presque tous en commun une connotation péjorative, relative selon l'utilisation du terme en interne au pays ou en externe, liée à la perception du mot par le groupe qui est ainsi désigné comme étranger. La question linguistique demeure pour moi intacte, et je cherche des réponses au pourquoi dans de nombreuses langues, ces termes qui désignent "celui qui n'est pas d'ici", commencent par la lettre "g"... ? Alors que l'on retrouve dans les langues romanes, l'emprunt au latin, extraneus, « du dehors, extérieur, qui n'est pas de la famille, du pays, étranger », donnant les variantes : étranger, stranger, estrangeira, straniere, et dans les langues germaniques, la racine fremd fremmed, främmande... 

On retrouve partout dans ces langues, qu'il y a un mot qui traduit l'idée de celui qui vient d'ailleurs, qui n'est pas "de chez nous", et aussi l'idée ce celui qui n'a pas de terre, du déraciné, du nomade.

 

 


 

1  Wilson, Michael Henry, Clint Eastwood, Entretiens, Cahiers du Cinéma 2007 Prologue, Cavalier Seul.

2  Prononcé  horzin/horzine  en patois normand, voir Le Horla de Maupassant.

3  Tout Français vivant en Italie se voit immédiatement affublé d'une formule affectueuse, ainsi, devins-je : La Francesina col naso all'insu. (la petite Française au nez mutin). Ce statut donnant droit à un sésame.