DU COUPLE

DU RÔLE DU PÈRE ET DE LA MÈRE

«  Tout le monde a remarqué que, de nos jours, il s’était établi de nouveaux rapports entre les différents membres de la famille, que la distance qui séparait jadis le père de son fils était diminuée, et que l’autorité paternelle était sinon détruite, au moins altérée. » 1


1 de Tocqueville, Alexis, De la Démocratie en Amérique, tome 2. Éditions GF Flammarion. «  Influence de la démocratie sur la Famille. », page 239.


LE PARTENARIAT

« […] du moment que le peintre se met à regarder la vie américaine pinceau en main, il risque, en comparaison, de n’y voir presque rien d’autre – c’est-à-dire rien  d’aussi caractéristique que cette apparente privation, pour l’homme, de la femme qui lui correspond, et cette apparente privation, pour la femme, de l’homme qui lui correspond. Il se peut, bien sûr, que la femme qui correspond à l’Américain, étant donné la tournure que prennent les choses avec lui, soit la femme avec qui il n’ait pas de relation plus réalisable que de l’entretenir et de la supporter – de même que l’homme qui correspond à l’Américaine est peut-être, en fait, celui qui n’intervient dans sa vie que par des opérations occultes, à peine devinables […]. 1

Je m’étais trompée sur l’idée du mariage en général. Il n’y a pas de fusion entre les deux époux. Chaque noyau restant bien individué comme le démontre Pascal Baudry 2   et chacun accomplira ses tâches respectives et bien clivées qui sont complémentaires mais jamais fusionnelles. D’ailleurs, il suffit de regarder la tradition qui veut que généralement, les parents-époux/partenaires sortent au restaurant le vendredi soir pour des Happy Hours (comme si les autres étaient tristes!) pour aménager quelques heures officiellement balisées du quality time ensemble. Parce que le reste de la semaine est scandé pour des tâches qui séparent les époux, les life partners, et par déduction, sont de qualité inférieure. Dans une culture du jetable, de la séparation, de l'obsolescence, de la rupture, le mariage est un partenariat bien fragile en Californie en particulier.


1 James, Henry, La Scène Américaine, 1907. Minos, la Différence, 2008, page 117.

2 Baudry, Pascal, Op. cit.


[...] La famille américaine n’est donc qu’un «  collage  » temporaire, un assemblage interchangeable, un QCM, cut and paste, puisque personne n’est à sa place de façon fixe et n’y joue son rôle de façon durable. La multiplication des combined families,  familles recomposées, vient compliquer les rôles en ajoutant des step mom, step father, step brother, step sister, step daughter, step son. Qui détient alors l’autorité parentale ?

La frustration engendrée par ces demi-rôles n’est pas sans conséquences. L’ensemble de la cellule familiale américaine se trouve ainsi dysfunctional et se retrouve généralement dans les salles d’attente des thérapeutes. Les thérapies visées sont généralement courtes, puisqu’en Amérique, on règle les problèmes pour passer à autre chose, you get it over with.  Nous sommes dans du problem solving ici.

DU COUPLE MIXTE

FEMME PASSEUSE DE LA CULTURE

Dans le cas d’une femme française, mariée à un Américain, comme tel fut mon cas, la culture française a une chance d’être sauvée et de survivre. Parce que c’est bien une question de survie, le mot n’est pas trop fort. L’homme est par nature très peu apte à faire passer sa culture à ses enfants et généralement, il compte sur la femme pour le faire (il fait-faire). Il se repose sur elle. Si c’est un Français, marié à une  Américaine, il y a de grandes chances pour que ses enfants n’apprennent rien de lui ni de sa langue, qui ne sera perçue que comme une corvée de verbes irréguliers décontextualisés.   J’ai toujours imprégné mes journées de «  quelque chose » de la France afin de relier, de pimenter ou de donner du croustillant à tout. La différence étant de rehausser les signifiants : à la mollesse du pain wonderbread,  j’opposais le croustillant de la baguette française offrant une résistance sous la dent.

UN TRAVAIL DE FEMME

"Tout" reposera sur la femme. Elle va construire ses journées autour du bastion de la francité. Être française jusqu’au bout des ongles, faire des crêpes le mercredi après-midi, short day (où les enfants rentrent plus tôt), pour que les papilles gustatives soient imprégnées de l’odeur de la  «  France » - jour que l’on baptisait : crêpes day.  Elle va s’évertuer à ne parler «  que le français  »,  une fois le seuil de la maison franchi, sans tolérer de pollution. Maintenir la langue d’origine se fait au prix d’un sacrifice quotidien et d’une énergie entièrement vouée à ce projet. C’est un challenge qui devient obsessionnel, il en va de la survie de l’ADN culturel de la France avant que nos enfants ne soient complètement contaminés par la mollesse de la prononciation de l’anglais américain et que la Ketchupization ne recouvre absolument toutes les bouchées portées aux lèvres de nos chers petits Français du bout du monde.

SOUSCRIRE À UNE ASSURANCE DE RETOUR EN FRANCE

Langue et alimentation marchent ensemble dans ce combat linguistique. Agir ainsi, c’est souscrire à une assurance de retour au pays. C’est avec frénésie que cela se gagne. Sait-on jamais, un retour vers la France reste toujours possible.

LA COMPLEXITÉ DU MARIAGE MIXTE

La division noir-blanc de la langue anglaise implique une vision manichéenne du monde. En Amérique, dans un couple, lorsque l’un des conjoints décide d’avoir une liaison en dehors du mariage, cela entraîne quasiment toujours un divorce, ce qui contribue à un taux très élevé. Une situation non-claire, une zone de brouille n’est pas tolérable dans le couple qui préfèrera rompre le contrat de mariage plutôt que d’entretenir une relation floue. C’est une amie protestante, luthérienne, qui m’avait expliqué tout cela.   C’est pourquoi un mariage mixte franco-américain est fragile dès le départ, malgré les meilleures intentions. Bien sûr, nous connaissons tous des contre exemples, et beaucoup s’accommodent et ne se posent pas de questions. Au début, la culture a tendance à agir comme un parapet de défense, un pare-feu, un paravent selon la protection recherchée, et masque la réalité qui finit par percer au fil des années. La culture agit comme un écran sur la vraie nature humaine enfouie au plus profond. Cela nous détourne de l’essentiel au fond. L’illusion agréable engendrée par les différences culturelles rend la relation exotique, nouvelle, pleine de surprises, fraîche et inattendue. D’ailleurs, la différence culturelle fait qu’on ne sait plus discerner ce qui appartient à l’individu et à sa culture. On reçoit le «  tout  » d’emblée et en vrac. Il faut faire la part des choses : ce comportement est-il normal chez tous les Américains de la côte Est, de famille catholique, irlandaise ? Ou bien est-ce un dysfonctionnement propre à cette famille et qu’on retrouve chez toutes les familles au monde souffrant de la même pathologie ? Du coup, on perd beaucoup de temps à chercher à comprendre.

OÙ COMMENCE LA CULTURE ? OÙ S’ARRÊTE LA PERSONNALITÉ ?

En effet, il faut du temps pour voir émerger ce qui est intrinsèquement lié à la personne d’une part, et ce qui est attribuable à la culture d’autre part. L’amalgame rend le contexte encore plus flou par la superposition des couches complexes et les emboîtements de poupées russes les unes dans les autres. Où s’arrête la culture proprement dite, et où commence la couche de la personnalité individuelle à proprement parler ? Alors que dans un mariage monolingue et mono-culturel, au moins, le non-dit est «  clair  »,  contenu dans l’implicite du bagage culturel propre à la langue. La marge de malentendu est restreinte, on peut faire la moitié du chemin pour rencontrer l’autre.  Le fait d’épouser en même temps un individu et une autre culture, voire parfois une autre religion, peut faire que trop de «  réalités » ou de mondes différents cohabiteront, et que les poupées russes s’emboîtent douloureusement au détriment des deux acteurs principaux. Tout est tenu à distance au début par le charme de la nouveauté et du dépaysement et par le temps nécessaire au décryptage de l’autre culture. C’est comme une danse qui est partie avec le mauvais pied d’appel. À la fin, on en veut à l’autre culture dans son intégralité, alors qu’on ne peut exclure qu’il s’agit « simplement » d’une mésalliance. Il est évident qu’en théorie, une Française épousant un Américain de pure souche louisianaise ou canadienne aura sûrement d’emblée moins d’aspérités sur son parcours qu’un mariage avec un pur représentant de la norme culturelle WASP. Sur les agencements « possibles » les combinaisons sont infinies bien sûr, et les risques presque prévisibles malheureusement. Au moins, au sein de la même culture, essaie-t-on de minimiser tout ce qui est trop flou, intraduisible et intangible et de faire en sorte qu’un fonds culturel, linguistique et spirituel commun et solide serve de socle pour la construction de l’édifice. On peut s’aventurer dans un vrai pas de deux sur une base solide parce qu’explicable dans le même idiome.

Dans mon expérience personnelle d’un mariage mixte, le conjoint français se voit toujours accusé de compliquer la réalité (alors qu’il/elle se perçoit en toute bonne foi réaliste), et l’Américain de la simplifier (alors qu’il est idéaliste ou naturellement overly optimistic ), au bout du compte, l’abîme est trop grand.

Le grand écart est trop douloureux entre deux réalités paradoxales. C’est épuisant et usant au fil des années, et parfois, tristement, l’arrivée des enfants sonne le glas du romantisme de la famille idéalement bilingue et biculturelle. Beaucoup baissent les bras devant l’immensité de la tâche. À notre époque où les échanges sont fréquents, les stages à l’étranger la norme... et où l’on parle en France d’un mariage mixte sur six, soit 50% de plus qu’il y a dix ans, on peut se poser la question quant au leurre qui s’agite partout concernant la facilité de se marier avec quelqu’un d’une autre culture que la sienne.

Il faudrait faire plus de prévention sur les risques qui sont bien trop connus. Cela devrait être en tout cas évoqué dans tout projet de mariage mixte.